❝ Oh, I'm coming around to see you ❞
i'm whistling and smiling in the pouring rain

Elle traçait ma vie comme lorsqu'elle dessinait le visage de celui qu'elle aimait sur un bout de papier, ou sur le coin de sa table. Tout avait commencé par ses yeux bleus dans lesquels elle aimait se plonger, se noyer, sans jamais manquer d'air, sans jamais toucher le fond. Lorsqu'elle m'en parlait, maman portait un regard pétillant, au fond desquels une flamme insolente dansait sans arrêt, consciente que jamais rien ne pourrais l'éteindre. Il y avait ces jours où je restais des heures entières, assise sur le sol de son atelier, à la regarder dessiner. A l'écouter me parler de tout de rien, de sa jeunesse, de sa rencontre avec papa et de ma naissance sous mes yeux ébahis de petite fille animée de questions. Ma naissance..

Ce jour là, il pleuvait. Papa jouait du piano dans sa chemise noire, les cheveux en bataille, ses yeux bleus habité d'un regard perdu, c'était ainsi à chaque fois qu'il jouait de la musique. Qu'entre ses mains, il y avait cette magie d'ensorceler les coeurs avec ces notes. Maman rentrait du marché, emmitouflée dans sa veste trempée, les cheveux attachés en une longue tresse désordonnée. Elle était pâle, peut-être un peu fatiguée. Elle retira sa veste et ses chaussures qu'elle laissa en vrac au pied de la porte, sur le paillasson. Doucement, elle se glissa derrière son mari, l'enlaçant calmement. " Bonjour mon chéri " soufflai-t-elle à son oreille comme à chaque fois. Alors il laissait la musique mourir; se retournait, la contemplait dans son silence pour enfin lui sourire et la saluer avec ses signes. Ce ne fut que quelques heures plus tard que les douleurs commencèrent à venir. Et que maman perdit les eaux. Et plus tard encore qu'on me nomma. " Lennon.."

Jusqu'à mes 2 ans, je vécu comme enfant unique, m'enfermant dans un monde que seule moi avait la clef. Je restais des heures dans les rues, dans des maisons abandonnées, à chercher des cachettes secrètes ou encore à faire du grenier de Mamie Germaine un château de conte de fée. On m'avait envoyée chez elle pendant quelques jours. Mamie disait qu'il y aurait une surprise lorsque je rentrerais. Qu'il y aurait un petit frère. Moi, je ne savais même pas ce que c'était que ça. Papa vint me chercher. Arrivés à la maison, une atmosphère chaleureuse régnait dans la maison. Il y avait le parfum d'un gâteau au chocolat en train de cuir, celui de café frais et de chocolat chaud et dans mon tas de jouets, le chat ronronnait. Dans les bras de maman, un bébé. Un sourire sur son visage.

J'avais si peur qu'il me vole ma mère, mon père et mon chat. Ce bébé, je le détestais déjà. Jay. C'est ainsi qu'ils le nommèrent. Je ne l'aimais pas. Je n'en voulais pas, de cet intrus dans mon monde. De plus, il ne nous ressemblais pas. Il avait une peau noisette, des yeux chocolatés, bridés. Il m'effrayait... Jusqu'à ce que nous grandissions un peu. Il fallut attendre mes 14 ans pour enterrer la hache de guerre. Un temps où maman décidé de me raconter l'histoire de Jay, agacée par mon comportement à son égard..Elle me fit découvrir son univers, sa mère qui ne voulait pas de lui, son père qu'il ne connaîtrait jamais, son abandon... C'est à ce moment que je l'ai pris dans mes bras, sentant son coeur battre contre ma peau comme s'il avait attendu ce jour depuis sa naissance. Je l'emmenais dans mon monde qui très vite devint le notre. Nous allions courir dans les chemins les jours de pluie, la boue tâchant nos vêtements, le coeur fou. Sans savoir où nous allions, sans même se poser de questions cherchant à fuir l'inévitable, nos regards remplis d'un espoir que nous savions mort d'avance. Seulement nous ne voulions pas y croire. Quelques mois plus tard, alors que j'étais en cours, la secrétaire vint me chercher. Elle avait l'air grave et avait tellement de mal à trouver ses mots. Elle fini par faire de longues phrases désordonnées pour finalement m'annoncer que mes parents s'étaient donné la mort dans un accident de voiture. L'espoir n'était plus..J'aurais cru que tout cela m'aurait éteinte. Au contraire, je devenais plus forte. Je ne pleurais que devant mamie qui, par chance, voulut bien de nous. Au fil du temps, Jay & moi se rapprochions. Au point qu'il me fit découvrir sa fascination pour la musique. Une passion contagieuse. Nous nous enfermions dans un monde où la musique était Reine. Elle seule parvenait encore à faire battre nos coeurs. Le reste..était une autre histoire. Nous ne vivions plus que l'un pour l'autre, oubliant ce monde qui nous semblait si grand...Seulement, à 18 ans, Jay repris la route pour le Japon, désireux de retrouver ses parents biologiques. Et malgrès ses nombreuses promesses, je savais qu'il ne reviendrait pas. Peu à peu, j'abandonnais la musique, ne lui trouvant plus aucun sens. Les mots ne voulaient plus rien dire, les notes semblaient si fausses, menteuses. Pourtant, il me fallait quelque chose qui pourrait me ramener à lui, à nos souvenirs. Jay disait que j'avais une jolie voix. Je m'engageais alors à consacrer ma vie à la musique..